La Route de la Soie
Ouverte au IIème siècle avant J.-C. par le général chinois Zhang Qian, la route de la soie désigne un ensemble de voies commerciales reliant la Chine et l’Occident. Comme son nom l’indique, parmi les multiples denrées et marchandises qui y circulaient, la soie était l’une des plus rares et précieuses, la Chine prenant alors soin de conserver son secret de fabrication.
Plusieurs itinéraires étaient possibles, avec une bifurcation menant à la Perse ou à l’Inde, et diverses extensions rajoutées au fur et à mesure, entre autres vers l’Egypte et l’Europe. Mais en général, les deux extrémités de cette route étaient la capitale provinciale chinoise de Xian et la ville d’Antioche en Turquie.
Au-delà de son aspect commercial premier, la route de la soie était aussi un lieu d’échanges d’idées, de pensées, de croyances, de cultures. Des échanges qui ont par exemple permis l’arrivée et le développement de l’islam en Asie, comme cela se voit avec le courant mystique du soufisme, dont la musique très incantatoire se retrouve notamment en Iran, en Ouzbékistan, et chez les derviches tourneurs de Syrie et de Turquie. Ainsi, Alireza Ghorbani rend hommage, dans Les Chants brûlés, à Djalâl ad-Dîn Rûmî, poète mystique persan qui a influencé cette voie religieuse. On peut également citer les Ouïghours, peuple turcophone et musulman vivant à l’extrême ouest de la Chine, dont la musique s’approche tantôt de la pratique turco-persane, tantôt des traditions chinoises.
La musique, donc, source de nombreux échanges concrets, palpables, si l’on s’intéresse aux instruments très similaires joués dans les pays traversés par la route de la soie. Ainsi, dans la famille des vents, le Ney, flûte en roseau, est présent notamment en Syrie et en Turquie, chez Kudsi Ergüner ; il a diverses déclinaisons comme le Neyanban, cornemuse iranienne que l’on peut entendre chez Saeid Shanbehzadeh.
Pour les cordes, c’est le Tambûr, luth à manche long, qui offre une large palette de variations suivant les pays traversés, avec le Târ iranien (et Dotâr, Setâr…) dont Darioush Tala'i est un grand maître, ainsi que le Saz (que l’on trouve en version amplifiée pour accompagner l’électro d'Omar Souleyman) et le Sato de Turgun Alimatov. La famille du luth s’illustre quant à elle à travers l’Oud, avec Munir Bachir comme figure de proue, et le Pipa chinois. La part belle est aussi faite aux cithares, qu’elles soient à cordes pincées (Guqin et Guzheng chinois) ou frappées (Santour iranien).
Enfin, chez les percussionnistes, le tambour sur cadre est roi, avec des tailles et donc des noms variés : Daf, Doyre, Riqq… Il y a également le Tombak (ou Zarb), tambour en gobelet sublimé par le trio Chemirani sur l’album Dawâr.
Une musique qui se fait aussi voyage temporel dans cette sélection qui fait la part belle aux traditions, avec par exemple le radif, corpus musical iranien inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO, mais aussi aux évolutions, là encore souvent semblables entre les divers pays traversés. Ainsi les influences pop, rock et psyché venues d’Europe et des Etats-Unis se ressentent fortement dans la musique des années 60 et 70, que cela soit avec le Jimi Hendrix turc Erkin Koray, dans les morceaux légers et enjoués pré-révolution iranienne, ou à travers les Chinese Folk Songs sucrées de Lily Chao.
Enfin, la tendance au mélange entre tradition et évolution, voire modernité, est très vivace de nos jours, avec des artistes comme la rockeuse turque Gaye Su Akyol et son énergique Hologram Imparatorlugu, ou le groupe Shanren, qui mixe luths sanxian et qinqin et autres sons champêtres de son Yunnan natal à des guitares électriques endiablées saupoudrées de rap urbain.